1998

L’Œuvre de terre

Danièle Gillemon

Nourrie d’une culture visuelle très maîtrisée, l’œuvre de Philippe Monod me paraît appartenir à une engeance précieuse. Loin de nier le passé pictural qui hante forcément notre temps, elle l’intègre, le transfigure en toute connaissance de cause, avec une sorte de radicalisme doux, de conséquente patience qui mène à l’aube d’images nouvelles.

Formes plastiques aussi accomplies qu’éblouissantes, aux antipodes de la gestualité et de l’effet, les peintures au pastel de cet artiste suisse nous plonge dans les arcanes de paysages flous et tenaces, nés, dirait-on, de la matière même du temps. Un Travail dense, serré, construit le tableau opiniâtrement, ne saturant l’espace que pour mieux le libérer, donner forme aux mouvements multiples, parfois tourbillonnants, qui s’offrent aux regards.

Il y a quelque chose de très stimulant dans la manière dont l’œil compose sa propre image et trouve ses repères dans ce maelström subtil et coloré. Tantôt la surface semble refouler sous elle toute espèce d’agitation, noyer d’imperceptibles frémissements dans la brume colorée, tantôt, au contraire , elle les laisse affleurer en visions ondoyantes.

Alchimie picturale, elle tire sa vie tout à la fois discrète et intense de la juxtaposition et de la superposition de traits microscopiques. Pastel gras et sec se mêlent, se chevauchent, ponctuant, saturant, modulant l’espace sans effets de matière, jusqu’à définir des paysages sans limites.
Ces paysages sont tour à tour vaporeux comme un ciel d’hiver, flambant comme un champ dans les dernières lueurs du jour ou sombres, impénétrables comme des futaies en forêt. Parfois ils persistent comme les songes, mais tout aussi prompts à s’évanouir.

Ni perspectives, ni ligne d’horizon, ni avant, ni arrière-plan. Pas de composition au sens traditionnel du terme. Pas de construction de l’espace en dehors de cette matière sèche et inaltérable qui joue avec infiniment de tact des valeurs colorées et lumineuses, découvrant parfois des grattages , des raclages, des petites déchirures qui structurent le tissu du tableau . Décidément l’abstraction présumée n’en est pas une. Et on n’est pas davantage en présence de monochromes.

Le secret ? Un métier et une architecture interne remarquables. Pas de mouvement, pas de vie, pas de magie sans eux.

Danièle Gillemon
Mars 1998