1993

Lumière des cendres

François Wasserfallen

Quand Philippe Monod m’a présenté ses « Lumières des cendres », au milieu de son atelier, je me suis trouvé au centre d’un travail véritablement matériel. Les pastels que je voyais n’étaient pas de beaux songes abstraits . J’y découvrais une force brutale, une puissance farouche, qui est celle -là même de la couleur, un relief épais, donnant aux masses une profondeur pleine de sens.

La matière de la couleur surgit des « lumières des cendres » avec une telle évidence qu’on en oublie le geste qui l’a posée, qu’on ne peut même l’imaginer. Cette évidence me semble liée à l’évolution particulière que Philippe Monod a réalisée avec cette nouvelle étape de son œuvre . Ceux qui ont pu suivre les différentes expositions du peintre se souviennent de sa série des « Rideaux ». C’était déjà le pastel, mais le pastel appliqué à longs traits, pour représenter la surface d’un univers volontairement caché : le rideaux ne peut que laisser deviner ce qu’il recouvre. Or , avec les « Lumières des cendres », le tissu est certes encore présent , puisque la plupart de ces œuvres sont peintes sur soies. Mais là, le tissus à la trame rassurante et régulière, aux reflets attendus, ne cache plus ; il est au contraire le support d’une fabuleuse révélation. J’ y vois un incroyable renversement : soudain, le volonté de l’artiste ne nous impose plus les traits grandioses drapant l’imaginaire, mais offre généreusement l’entier des émotions de la couleur. Avec cet approfondissement de la démarche de Philippe Monod, nous sommes passés de l’autre côté du rideau.

« Lumières des cendres » ou les noces fertiles et fugitives des contraires : Philippe Monod ne cherche pas une perfection lisse à l’éclat uniforme ; non, ce qu’il poursuit c’est une réunion des extrêmes, celle que parfois certains états nous font goûter : illuminations quasi mystiques, ivresses ou orgasmes, tout-à-coup nous sommes portés aux frontières de l’intense , à la collision de la vie et de la mort. Ce sont ces éclairs d’extases que font éclater les œuvres de Monod. Coups de tonnerre libérateurs dans la grisaille de notre existence : inlassablement, jour après jour, nous tendons nos mains vers cette foudre définitive. Seul l’artiste, le vrai , sait nous livrer l’intensité de cette brûlure, comme le fait Philippe Monod.

Deux heures après que Philippe Monod m’a montré son premier pastel, nous sommes toujours dans l’atelier, face à toutes les « Lumières des cendres ». Nous avons fumé silencieusement quelques cigarettes, lui pour calmer le trac qui l’a saisi, pareil à celui d’une première, moi pour apaiser cette émotion fantastique d’une superbe découverte. Je regarde l’ami au milieu de son atelier, entouré de ses œuvres. Je vois l’artiste qui fait sortir de toute cette matière ce que ces pauvres mots ne peuvent qu’à peine suggérer. Faiblesse du langage, grandeur de la peinture. Pour toujours et à jamais.

François Wasserfallen