VU.CH – UNE COLLECTION D’ART À L’HÔPITAL
CHUV INFOLIO
« Rideaux » : c’est le titre d’une série de pastels dont celui-ci est tiré. Rideaux de pluie ? De verdure ? De brouillard ou d’ombre ? De gaze ou de tulle transparent ? « Plutôt rideau entre un monde et un autre, symbole de nos opacités psychologiques * », confie Philippe Monod. Ce qui est sûr, c’est que son graphisme nerveux et saccadé déverse des pluies de traits obliques de part et d’autre de la page pour les entrecroiser et les superposer. Comme des vitrages avec leurs textures et drapés semi-transparents. Mais il n’est pas interdit d’y voir les stries drues d’une averse ou un tressage serré de hautes tiges impétueusement entrelacées. Chez Philippe Monod, la nature n’est jamais très loin. Et si ses oeuvres peuvent sembler abstraites, il ne les voit jamais comme telles, sauf à prendre l’adjectif au pied de la lettre :« abs-traites » ou tirées de la réalité d’une chose vue et d’un sentiment vécu.
Le fait végétal l’a toujours fasciné: être proche de la nature pour tenter d’en transcrire les mouvements, les vibrations et l’énergie intime, d’en capter le caractère vivant plus encore que la beauté. Quand il adopte la technique exclusive du pastel, il devient très vite un virtuose rompu à toutes les subtilités de ces bâtonnets de couleur. D’une écriture minutieuse et infiniment patiente, il les travaille d’abord en nappes fondues et veloutées, poudroiements chatoyants et transparences moelleuses et méditatives. Mais un mouvement de libération progressive de son geste le rend plus vigoureux, plus rythmé. Comme vus du ciel, ses pastels en immersion végétale se font alors morceaux de nature jaillissante et profuse, saturée de stries, hachures et signes enchevêtrés couvrant toute la surface à la manière du all over, cette pratique venue d’Amérique qui consiste à peindre sans centre ni périphérie, comme si la peinture n’avait pas de bords et s’apprêtait à se propager tout autour.
Puis, plus rien. Le trou. Un silence long de huit années durant lesquelles Philippe Monod n’expose plus. Dans le secret de son atelier, pourtant, il continue de travailler. Mais il ne laisse rien sortir. Intransigeant avec lui-même , il estime que ce qu’il fait n’a plus ce frémissement de vie qui lui est indispensable. C’est alors que la vision d’une rangée de palmiers morts rongés par le charançon provoque en lui un déclic : s’identifiant lui-même à l’un de ces arbres, il se met à peindre cet « autoportrait » végétal. Troquant le pastel pour l’acrylique, il y trouve une énergie et une spontanéité revivifiées. Dans un tourbillon de sensations et l’effervescence d’une écriture gestuelle naît alors une suite de têtes échevelées, de spectres hirsutes, de totems barbares qui ouvrent dans son oeuvre une nouvelle ère où il aspire désormais à « laisser monter à la surface du tableau l’indicible désir de vivre l’instant * ». (FJA)
*Denise de Ceuninck « Transparences » Construire, 10 février 1988
*( https:/www.philippe-monod.ch/ presentation/ ), consulté le 8 avril 2022
Rideaux, 1988, pastel sur papier 138 x 88 cm