Contemplant les premiers travaux d’un artiste, je m’interroge toujours , même séduit, sur sa fécondité.Comment distinguer, aujourd’hui, le faiseur du créateur ? Reconnaître l’artiste vrai du joueur passager ? J’applaudis au monde où chacun s’exprime selon ses moyens. Les hordes enthousiastes , juchées sur les chevaux de l’éphémère, un bouquet de pinceaux ou de plumes à la main, ne m’effraient point, au contraire. Elles me ravissent . Mais je recherche, par goût profond, la rareté, la durée, s’agissant d’art. J’en attends le plaisir esthétique, certes, mais plus encore le trouble, la remise en question, le choc, l’inquiétude. Les hommes talentueux ne manquent pas, quand tant de jeunes semblent nés le concept aux lèvres ou le pinceau à la main. Les hommes de parole se font plus rares.
Contemplant les premiers travaux d’un artiste, je m’interroge donc : amateur de talent porté aux cimaises par un directeur bienveillant, ou futur Maître ? Trois critères simples, si je les applique, diminuent ma perplexité : La Nécessité, le Travail, la Liberté. Une force profonde pousse-t-elle l’artiste, malgré lui, envers et contre tout (le temps , la raison, la santé, l’intérêt, la vie privée, le bonheur même) à réaliser son œuvre ?
Cette dernière, la jette-t-il sur la toile au gré de son talent, ou l ’élabore-t-il en se battant contre la facilité, contre le talent ? Ses images, enfin, sont-elles clichés, imitations, répétitions, effets de mode, ou au contraire, recherche d’une vérité personnelle, expression d’une vision authentique ?
Je regarde, j’interroge, j’écoute mon intuition, je colle mon nez sur les œuvres, longuement. Quand je trouve réunis la Nécessité, le Travail , et la Liberté, mon cœur bat.Devant les travaux de Philippe Monod, mon cœur bat.Dans ses images troublantes, illustrations d’un conte de fées non écrit, nulle facilité, nulle complaisance. Pas trace de bâclage. Pas de concession au goût commun. Des chocs répétés, qui provoquent, sans gratuité, notre regard, nos sensations. Un travail inlassable pour édifier, au bord du gouffre, ce palais des miroirs où notre vie psychique se regarde, à travers celle de l’artiste. Hurlements de la sérénité. Grincements du désir. Dérision du quotidien dans ses innombrables malentendus . Sommes-nous esprits, ou corps ? Hommes ou femmes ? Vivants ou morts ? Equilibrés, ou décomposés ? En nous la folie parle.
En notre être androgyne le désir chuchote, pousse soudain le cri du nouveau -né. En notre éternelle jeunesse les siècles grimacent, nous fixent, silencieux, chiffonnés.Mûres, les pommes de terres quittent le sombre humus que mûrs, nous regagnerons un jour. Pendant un instant, une fraction de seconde, la destinée de la pomme de terre se confond avec la nôtre . Livré à une telle association d’idées, Philippe Monod y travaille sans répit, les yeux fixés sur la mine – plomb, sanguine, cette sanguine si longtemps négligée par les artistes et soudain réhabilitée avec éclat . Démarche opiniâtre, rare de nos jours, presque démesurée dans sa patience , son exigence. Pour nous, la joie de découvrir un artiste vrai. Riche d’avenir.Déplorer le macabre de certains sujets, regretter le « pessimisme » apparent de quelques pièces constituerait une erreur.
L’homme qui consacre tant de sensible travail à clarifier sa vision du monde, avec un tel désir de beauté formelle, porte en lui toute la force de l’espoir. Il faut croire en l’homme, pour lui proposer ainsi cette vision !
Le pessimisme consisterait à baisser les bras, renoncer à créer, céder à la facilité collective de ce temps – ou, plus banalement, lui offrir des oeuvrettes décoratives, plaisantes, au goût du jour, dépourvues de significations.Philippe Monod croit qu’un artiste doit donner le meilleur de lui-même, et donc évoluer les yeux ouverts, d’année en année, en quête de sa vérité intime. Il croit à l’authenticité toujours plus vive de son expression. Ne nous laissons pas saisir par la seule forme. Ecoutons , au fond, crier un homme, crier l’immense joie, l’immense souffrance de vivre et de créer.
Richard Garzarolli