2002

Sentiments de contemplation

Fred Lanzenberg

Des milliers de bâtonnets, autant de nuances, dont les secrets de fabrication, souvent jalousement gardés, tiennent de l’alchimie. Le pastel, seul outil privilégié dont la Fleur s’apparente à la magie, par son inaltérabilité liée à son extrême fragilité.

Création entre ciel et terre, entre tracé et tache, inscription et couverture, forme et couleur caractérisent l’art de Philippe Monod, témoins les titres qu’il donne à ses cycles de tableaux : Rideaux, 1998 – Lumières des cendres , 1992 – L’œuvre de terre, 1998 et maintenant : Sentiments de contemplation.

Laurent Wolf, préfaçant l’exposition au Centre Culturel Suisse en 1997, écrivait : « Monod essais d’enfermer quelque chose d’immatériel dans ses tableaux poudreux comme on essaierait d’attraper le ciel avec la main. Il capture le grain de lumière sur le sol, sous les branches, quand les heures changent ».

Succession de petits traits, serrés et denses, Monod pourrait nous entraîner vers le monochrome, à tout le moins vers une certaine abstraction, il n’en est rien. Terre, air, lumière, ce n’est néanmoins par la nature que l’on retrouve ici, pas plus qu’un paysage reconnu, plutôt le sentiment d’un paysage.

Superposition, croisement, chaque trait conserve son éclat, toujours lisible sous celui qui le recouvre en partie, au travers desquels s’infiltre la lumière . C’est à un voyage en profondeur que l’artiste nous invite, nous incitant à soulever chaque strate, chaque brindille, pour découvrir les plus profondes , les plus cachées dans le sous-bois, jusqu’à provoquer des sensations d’ordre olfactif, sous le pastel dont chaque passage a gardé son intensité. A la surface jaillissent les couleurs les plus vives. Il aime dire que l’œuvre doit être traversée.

Si certains paysages sont à portée de la main et le désir est grand de les effleurer , d’autres ont une trame plus serrée, grands a-plats calmes, comme saturés de lumière, tendent à l’infini. D’autres encore moins identifiables sont parsemés de lucioles, éclatements de couleurs, tel un kaléidoscope, voie lactée et rejoignent la phrase de Ernst Jünger, s’exprimant sur le pastel dans le Cœur aventureux, 1938 : « Je goûtais l’un des plaisirs les plus rares qui soient, celui qui met en jeu des sensations que je nommerais stéréoscopiques ».

Fred Lanzenberg
juillet 2002