Le feu aux poudres
L’un des trois lauréats de la bourse Bailly 89, Philippe Monod, est de retour à la galerie Plexus à Chexbres. Avec ce besoin de surenchère courant chez les autodidactes, il travaille comme un fou, avec un engagement forcené. Et avec ce désir, fréquent aussi chez ceux qui font leurs classes tout seuls, de maîtriser les techniques les plus académiques, comme pour s’approprier un passé dont aucun diplôme ne les a sacrés héritiers légitimes. Philippe Monod a donc fait ses gammes tout seul. Il a commencé par une figuration surréalisante et follement habile. La domestication de la figure humaine et de la sanguine, symboles par excellence de la tradition, étaient au chapitre premier de son apprentissage. Puis il passe à l’abstraction, cherchant dans le difficile maniement des subtilités du pastel, à maîtriser le travail de la matière. La virtuosité, à nouveau, est au rendez-vous. Mais le sentiment domine encore que la beauté des matières est la finalité première et que derrière elle, l’artiste n’a pas encore grand-chose à dire. Il a fait depuis lors un grand pas de plus. Désormais dans ses meilleurs travaux, sa main n’est plus seulement experte, elle se met au service de ce qu’elle veut dire. Les matières ne sont plus seulement séduisantes, elles sont chargées. Philippe Monod a mis le feu aux poudres de ses pastels. Sur de grands formats, à hauteur d’homme, il allume des incendies superbes et ravageurs. Son geste s’y permet des audaces nouvelles que libèrent des joliesses appliquées. Il a pris de l’ampleur et du souffle. Il a quitté le port où il s’exerçait à la manœuvre.
Françoise Jaunin
24 Heures, le 23 mai 1990