Cendres et rougeoiements incandescents de Philippe Monod
Philippe Monod manie le pastel en maître. Quel que soit le thème qu’il décide de mettre en images, hier « Archives » ou « Rideaux », aujourd’hui « Lumières des cendres », il excelle dans l’art du velouté, de la transparence, de la mise en valeur des chromatismes, il révèle la lumière. Il n’est donc pas surprenant de retrouver ce jeune artiste aux cimaises de la galerie Ditesheim, qui a l’art quant à elle de présenter des peintres de tout premier plan, garants d’émotions profondes et durables. Hier Bokor, aujourd’hui Monod…
Chaux-de-Fonnier jusqu’à l’âge de douze ans, Philippe Monod, 39 ans, vit et travaille actuellement à Boussens dans le canton de Vaud. Sa trajectoire ne passe par aucune école des beaux-arts. « Je peins depuis longtemps, déclare-t-il, de loisir, cette activité est devenue mon métier ». Un métier que l’on devine très sûr, mûri petit à petit, avec constance, salué en 1989 par le Prix Alice Bailly, révélé aujourd’hui dans la splendeur des textures de la soie, du pastel qui y poudroie et chatoie, et, finalement, y libère la lumière comme une explosion.
Pour la petite histoire, la rencontre entre Philippe Monod et François Ditesheim remonte à Art 16’85 à Bâle, lorsque le jeune homme présenta son travail au galeriste… « Le papier, c’est comme une peau, affirmait alors l’artiste, c’est pour cela que je l’aime, que je le préfère à la toile. » A présent, sans pour autant délaisser le papier, il revient à la toile, mais en choisissant la soie, celle qui offre ses propres structures textiles pour faire vivre le pastel, en creux et en bosses, en chemins de vie et circuits, telles les rides et strates de l’épiderme, avec une brillance supplémentaire.
En contemplant la suite intitulée « Lumières des cendres », dédiées à un ami proche, Daniel Groux, disparu tragiquement, à l’allure d’une étoile filante, chacun peut faire son cheminement intérieur. Le plongeon dans la profondeur des ténèbres, d’où nul n’a le sentiment de pouvoir revenir. Et puis l’espoir, la lumière, la re-naissance à l’air, au monde, au mouvement, l’ouverture à la beauté visuelle, sonore, palpable, dans une indescriptible clameur des sens.
Cendres, produits de la combustion, noir,gris,blanc, anthracite, particules de projections volcaniques, associées au magma brûlant, dévastateur, rougeoyant, rouge sang et menaçant dans la nuit, cendres des morts léchées par les flammes, cendres de ce qui n’est plus…
Lumières des cendres, jaillissement de l’inerte, lueur montante des ténèbres, d’abord diffuses, mais déjà promesse, comme l’aube à l’horizon ,comme ce sentiment qui regagne après le désespoir, qui enflamme à nouveau, pour devenir brasier à son tour… Philippe Monod transcende tout ce tissus émotionnel au moyen du pastel. Du néant, il fait monter un chant d’allégresse.
« La matière de la couleur surgit des « Lumières des cendres »avec une telle évidence qu’en en oublie le geste qui l’a posée, qu’on ne peut même l’imaginer, écrit son ami François Wasserfallen. (…) A la collision de la vie et de la mort, ce sont des éclairs d’extase que font éclater les œuvres de Monod ».
Sonia Graf
L’Impartial, BEAUX-ARTS, 2 novembre 1993