TRANSPARENCES
Miroirs de situations vécues, d’humeurs, de passions, les rideaux peints par Philippe Monod s’ouvrent sur le théâtre intérieur de l’artiste.
Rideau de pluie, de verdure, de brouillard, de fumée ? Plutôt rideau entre un monde et un autre, symbole de nos opacités psychologiques » confie Philippe Monod, né en 1954 à la Chaux-de-Fonds, de père suisse et de mère corse. L’artiste vit à Nyon. Pour sa quatrième exposition personnelle, il accroche à la Galerie Ditesheim de Neuchâtel, jusqu’au 28 février, une série de pastels sur un thème qu’il travaille depuis plusieurs années : Le rideau. Chaque œuvre a une proposition différente.
Sur un papier souple et résistant, Philippe Monod s’engage dans la complexité d’un jeu de traits, module les valeurs chromatiques, distribue l’ombre et la lumière, il y a là un sens de la couleur que l’on se doit de prendre en compte, comme est à considérer la discipline du geste nécessaire à l’organisation des mouvances de couleurs, à leurs rapports.
Sa technique joue sur un étonnant travail de transparence, tout ce qui est touché par la lumière, rêve. Le noir est alors réveillé jusqu’en ses plus lointaines profondeurs.
Cela implique un espace illimité dont l’artiste a besoin pour transmettre ses émotions, un format qui soit à la dimension du corps.
Les tableaux sont tous de la même surface, 138 x 88 cm ; là, Philippe Monod place et déplace, selon une progression qui va de la diagonale à la perpendiculaire, les virages, les glissements, de la couleur. Entre les décalages, les passages d’une tonalité à une autre, les demi-teintes, entre le calme ou l’exaspération, Philippe Monod livre des images d’une abstraction suggestive propres à entraîner le visiteur dans les méandres du rêve.
Mais Philippe Monod récuse le terme d’abstraction : « Mes tableaux sont rattachés à une notion figurative. Tout part d’une sensation, d’une vision, d’un sentiment. C’est un dialogue avec moi-même, je vais vers quelque chose de suggestif.
»Chaque œuvre en amène une autre… autant d’instants de vie, autant de réactions dans l’imaginaire…
»Ce pastel là-bas, je l’ai peint en Inde, alors qu’au détour d’un chemin je me suis trouvé face à face avec un éléphant… celui-là, très rouge, me fut inspiré par un bûcher, en Inde sur lequel se consumait un corps…
»J’admets une forme d’abstraction, mais mes tableaux naissent d’un sentiment vécu, d’ailleurs le vocable ne signifie-t-il pas « abstraire quelque chose ? »
Et la gaze des rideaux, que devient-elle ? C’est à jamais derrière elle que cherche à voir l’artiste. Le tissu peut être lacéré mais rien n’empêche que les visions s’y accrochent toujours. Philippe Monod se tient en posture de voir par-dessus le rideau d’ombre. De la même manière le regardeur puisera dans son inconscient pour former de nouvelles images, de nouveaux symboles, rideau qu’il soulèvera sur les départs, les arrivées, les adieux.
De façon personnelle Philippe Monod poursuit son chemin, axé sur la volonté d’introduire un sentiment à son œuvre, de matérialiser des états d’âme. D’ores et déjà il possède un métier qui le met d’emblée sur le plan du poète, auquel il se rattache par l’ambiguïté et les tourments de l’esprit.
Denise de Ceuninck
Construire 10 février 1988