Impressionnisme revisité
Les grands et beaux pastels de Philippe Monod à la galerie Fred Lanzenberg
L’impressionnisme à la fin du XIXe siècle disait encore, ultime sursaut d’un art illusionniste, le désir du peintre de se substituer à la nature.Il convenait de restituer cette nature dans ses modalités les plus subtiles, dans les jeux éphémères de la lumière sur les formes, de consacrer une réflexion sur le temps qu’il fait et sur le temps qui passe modifiant toute chose.
Le XXe siècle a eu raison de tout cela non sans ancrer dans les esprits l’idée qu’après cette vie illusionniste de l’art (de reproduction des mécanismes naturels), il y a encore une vie pour la peinture, bien différente, délivrée de l’obsession de se substituer au principe créateur, à la recherche d’une autonomie.Par exemple, pas le moindre illusionnisme chez le peintre américain Rothko. D’où vient, dès lors, le sentiment persistant, face à ses œuvres, qu’elles collent avec le sentiment infini de l’espace et de la lumière, avec le bonheur qui, même dans les toiles les plus sombres, lui est attaché ?
Avec des moyens et des tempéraments divers, une petite famille d’artiste à laquelle Philippe Monod appartient d’évidence paraît revenir à une forme d’impressionnisme, du moins dans la facture : touche corpusculaire, réseau de hachures, enchevêtrement plus ou moins serré de signes…
Bref un tissu dense et lumineux, un chevauchement de signes bref mais architecturant dont le premier mérite est bien de susciter perplexité et éblouissement. Car l’image qui, parfois, se lève – un arbre, un coquelicot, un enchevêtrement d’herbes, folles…- succombe à une sorte d’abstraction concrète. Une « presque abstraction » séduisante et exigeante qui prolonge très certainement la résonance de l’œuvre.On verra donc une belle série de grands formats qui mêle pastel sec et pastel gras et s’avère, si on les compare à la précédente exposition, il y a quatre ans, subtilement différent.
Variation à l’intérieur d’un périmètre donné, d’une même émotion face à la nature (notamment pour les tableaux inspirés par la Corse, sonores et intenses), leur raison d’être est bien évidemment de transmuer cette émotion, d’en capturer les effets en les versant dans le registre pur et musical de la peinture.
Il n’en reste pas moins que flotte souvent à la surface, sous une forme plus ou moins figurée, les indices du paysage entrevu. Ils empêchent l’œuvre de basculer dans l’abstraction proprement dite et lui prêtent une sorte de tension, de richesse contrastante qui en fait l’intérêt.
A ce titre, le tableau ici reproduit, peut-être atypique en regard de l’ensemble de l’exposition, a presque valeur démonstrative.
A droite, ce qui ressemble aux traits enchevêtrés d’un feuillage, à gauche, une plage abstraite, densité de l’air si saturée de chaleur et de lumière qu’un mirage paraît y miroiter. Tout est là dans cette idée d’un mirage dont l’art consommé du pastel et de ses valeurs propres (sa minéralité plus ou moins onctueuse, amplifiant ou tamisant la lumière) permet de capturer tout à la fois l’évanescence et la plénitude de l’instant.
Les coquelicots aussi, clin d’œil à Monet, mais beauté vierge, différente… peuvent servir de fil conducteur à une œuvre qui, c’est vrai, fait écho à cette phrase d’Ernest Jünger dans le « le cœur aventureux » (1938) sur le jeu de sensations « stéréoscopiques » : Je goûtais l’un des plaisirs les plus rares qui soient, celui qui met en jeu des sensations que je nommerais stéréoscopiques.
Danièle Gillemon
Le Soir. Bruxelles Mercredi 18 septembre 2002
L’attention à nouveau portée sur les techniques picturales ne négligeant ni le métier, ni les sujets à priori non conceptuels, devrait inciter les regards à se tourner vers le travail de philippe Monod (1954), un peintre suisse que la galerie bruxelloise montre pour la seconde fois.
C’est de la peinture à l’état pur, à l’état de haute sensibilité, bien qu’il s’agisse exclusivement de réalisation au pastel à l’huile et au pastel ses. Un mélange que peu d’artistes ont poussé au point de donner, à chaque œuvre sur papier, une vraie densité picturale, une matière en relief comme une peau, comme une écorce vivante, surtout lumineuse et chatoyante.
L’artiste ne s’y est pas trompé en intitulant son exposition « Sentiments de contemplation », il ne séduit pas, il attire non seulement vers lui, mais aussi et surtout en lui, où l’on ne pourra que se perdre, tant le fourmillement des innombrables touches de couleur happe et entraîne les yeux en des mouvements et des horizons irréels.
Oui, il ose le paysage, ou plutôt le morceau de nature, mais point pour représenter, pour imiter, pour concurrencer ; non, plus simplement pour en livrer l’idée, l’envie et le goût, pour faire naître l’illusion et les sensations, pour conduire l’esprit là ou les yeux ne peuvent le faire. A proprement parler et à quelques exceptions près, il ne peint pas des images, même s’il s’agit de toute évidence de fleurs ou d’arborescences, ou d’infinies perspectives, il suggère la nature, frôlant l’abstraction sans, pourtant, jamais lui donner vraiment la parole.
On pourra voir en cette peinture une conjonction de références, de Monet à Mondrian par exemple, sans toutefois s’y attarder car la densité du trait, le relief de la matière, le traitement chromatique par ponctuations parcimonieuses, disséminées et particulièrement vives de couleurs toniques, confèrent aux meilleurs œuvres une personnalité totalement inédite. Le propre de cette peinture, est d’irradier, de rayonner, d’attirer en même temps par son énergie et son instabilité. Rien n’y est jamais au repos, comme s’il s’agissait d’infimes particules insufflant la vie, la lumière.
Claude Lorent
La Libre Culture – Bruxelles Mercredi 18 septembre 2002