1988

Rideaux

François Ditesheim

Galeries à la recherche d’artistes et artistes à la recherche de galeries, voilà une trajectoire connue, un va-et-vient vital, nécessaire, quelquefois stimulant, souvent usant et difficile.

La rencontre entre Philippe Monod et notre galerie fut, je crois pouvoir l’affirmer, aisée et sans embûche. Pour ma part, je n’avais pas connaissance du travail de Monod, ce jeune artiste au début d’une carrière que je pressens solide et inscrite dans une vraie continuité. Je n’avais pas vu les quelques expositions de ces dernières années. Personne, ni artiste, ni collectionneur, ni marchand, ni conservateur de musée ne m’avaient recommandé le travail de Monod, comme cela se produit souvent.

Au milieu du tumulte de la manifestation Art 16’85 à Bâle, déterminé et apparemment serein, Philippe Monod osa m’aborder, ce qui pour les créateurs n’est, en général, pas une partie de plaisir. Avec intelligence, sensibilité et acuité, il sut définir sa recherche et susciter mon intérêt.

La qualité de ses œuvres – vues dans son atelier quelques mois plus tard – s’imposa de soi. Monod me « déroula » une succession imposante de ses «Rideaux », pastels souvent somptueux, quelquefois rutilants, parfois mélancoliques. Si le thème des « Rideaux » occupa – et occupe encore – Monod durant plus de deux ans, c’est bien qu’il est le fil conducteur, tenace, non seulement d’une sensation, d’une vision, mais encore d’une pensée et de véritables états d’âme. Ces « Rideaux » sont, je crois, le miroir de situations vécues, d’humeurs, de moments extatiques, de colères, d’engouements, de petites et grandes passions. Ils s’ouvrent sur le « théâtre intérieur » de l’artiste. Monod m’expliqua par exemple, au retour d’un voyage en Inde, que tel rideau contenait la rutilance entrevue à Bombay, tel autre la peur ou l’effroi ressenti face à la misère de cette ville.

Beaucoup de choses, chez Monod se passent sur le rideau, ou devant le rideau. Davantage encore, me semble-t-il se passe derrière les « Rideaux » de Monod. C’est en deçà du visible que se cache, pudiquement, le monde de l’artiste, univers complexe, fait de contradictions, d’oppositions, de gravité, mais de jeu aussi, comme tout vrai théâtre, discipline que Monod a pratiquée lui-même.

« Le papier, c’est comme une peau, me dit un jour Monod, c’est pour cela que je l’aime, que je le préfère à la toile. » Le pastel poudroie à la surface du papier, mais sa vraie vie, à l’image de l’épiderme, est contenue dans les strates successives qui tissent, dans une extrême complexité, la substance de l’œuvre.

Les trois coups vont être frappés ; encore quelques instants pour remercier Claude Delarue du beau texte qui suit, et Philippe Monod de cette exposition que le public aimera, je l’espère.

…Et maintenant, levons le rideau, que le spectacle commence !

François Ditesheim